Iceberg

La naissance du Courant Circumpolaire Antarctique

Une équipe internationale de scientifiques à laquelle participe l'EPHE - PSL a retracé l’évolution du Courant Circumpolaire Antarctique, sur plus de 30 millions d’années.

Une équipe internationale de scientifiques menée par des chercheurs de l’Institut andalous des Sciences de la Terre (CSIC), des Universités de Bordeaux et de Paris Sciences et Lettres (EPHE, CNRS, INP), du Collège Impérial de Londres et de l’Université de Barcelone a retracé l’évolution du courant océanique le plus puissant et climatiquement influent de la planète, le Courant Circumpolaire Antarctique, sur plus de 30 millions d’années. Ils ont premièrement constaté que ce courant ne présentait des caractéristiques similaires à l’actuel qu’au cours des 14 derniers millions d’années et non antérieurement comme certaines études l’affirmaient. Cela remet donc en cause nos connaissances acquises ces dernières décennies selon lesquelles la naissance de ce courant était seulement déclenchée par l’ouverture des Passages de Drake et de Tasmanie depuis 34 millions d’années. Cette découverte majeure discrédite également le fait que le développement et le renforcement de ce courant aurait été à l’origine d’une glaciation majeure de l’Antarctique car les auteurs démontrent qu’il s’agit d’une relation de cause à effet inverse. Les auteurs mettent en avance l’urgence de mieux définir la nature exacte de la relation entre ce courant et la couverture de glace en Antarctique à différentes échelles temporelles, ce qui est particulièrement prégnant dans un contexte de changement climatique global.

 

Le Courant Circumpolaire Antarctique est le plus large courant océanique sur Terre, connectant les océans Atlantique, Pacifique et Indien. Ce courant régule en grande partie les échanges de chaleur, d’humidité, de carbone et de nutriments entre l’Océan Austral et les autres bassins océaniques ce qui impacte par conséquent de manière significative la concentration en dioxyde de carbone de l’atmosphère et le climat global. Malgré son rôle pivot dans la circulation océanique mondiale, la dynamique du climat et la stabilité de la glace en Antarctique, quand et comment ce courant s’est développé reste largement débattu depuis près de quarante ans.

 

L’initiation du Courant Circumpolaire Antarctique a été longtemps considéré comme exclusivement lié à l’ouverture des passages de Drake, entre l’Amérique du Sud et la Péninsule Antarctique, et de Tasmanie, au sud de l’Australie. Il aurait progressivement isolé le continent Antarctique de tout apport de chaleur entraînant son entrée en glaciation pendant la transition Éocène-Oligocène, il y a 34 millions d’années. Dans l’article « Late Miocene onset of the modern Antarctic Circumpolar Current », publié le 18 janvier 2024 dans la revue Nature Geoscience, reviennent sur cette théorie. Les chercheurs ont combiné des techniques innovantes, tels que les isotopes du néodyme analysés sur des restes fossiles de dents de poissons ou encore mesurés la taille des grains dans des sédiments marins prélevés dans l’Océan Austral couvrant les derniers 31 millions d’années. Ces nouveaux enregistrements ont permis d’identifier la période pendant laquelle le Courant Circumpolaire Antarctique présentait une circulation et une intensité proche de l’actuel, à savoir un courant puissant, qui s’étend de la surface quasiment aux profondeurs abyssales et sur une large superficie. Cette nouvelle étude a confirmé que l’ouverture des Passages de Drake et de Tasmanie a en effet permis le déploiement de ce courant autour du continent. Cependant, les véritables catalyseurs qui lui ont permis d’acquérir ses caractéristiques actuelles sont l’augmentation du contraste de densité entre les différentes masses d’eau présentes dans l’Océan Austral, ainsi que l’intensification des vents d’Ouest (les « Westerlies ») qui circulent autour du continent blanc. Les scientifiques ont constaté que ces changements hydrologiques et atmosphériques à grande échelle résultaient du refroidissement global du climat de la Terre et de la glaciation résultante de l’Antarctique pendant la transition climatique du Miocène moyen il y a 14 millions d’années, c’est-à-dire 20 millions d’années plus tard que ce que suggéraient les études précédentes. Dès lors, ils en ont conclu que ce sont ces changements climatiques qui sont responsables de la naissance de ce courant tel que nous le connaissons aujourd’hui.

 

Cette étude pose donc de nombreuses questions fondamentales concernant le futur de ce courant dans un contexte de changement climatique, du réchauffement global et de la fonte progressive de la glace en Antarctique.

 

Contact

Johan Etourneau (EPHE - PSL)