Innovation

De l’innovation de rupture aux levées de fonds d’ampleur, une nouvelle génération de start-up deeptech PSL

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A l’occasion du deeptech Tour PSL, organisé par la BPI sur le campus, Bruno Rostand, directeur de l’innovation et de l’entrepreneuriat à PSL, et Théau Peronnin, co-fondateur de la start-up deeptech Alice & Bob qui vient d’effectuer la plus importante levée de fonds jamais réalisée dans l’écosystème quantique français, reviennent sur les principales évolutions des startup deeptech ces dernières années, et sur l’évolution de l’écosystème

 

PSL : Bruno Rostand, en tant que directeur de l’innovation et de l’entrepreneuriat à PSL, pouvez-vous dresser un rapide panorama des start-ups deeptech nées à PSL ces dernières années ?

Bruno Rostand : Ces start-up sont à l’image de la diversité de PSL, et de la richesse de sa recherche. Elles sont issues de toutes les disciplines et couvrent tous les domaines d’application. Parmi les belles success stories des dernières années on peut citer bien sûr Alice & Bob (que j’aurais mentionnée même si Théau n’était pas là, bien sûr… ), mais aussi Hifibio (Découverte d’anticorps thérapeutiques, issue de l’ESPCI-PSL), Depixus (Séquençage génétique et épigénétique, issue du Département de Physique de l’ENS - PSL et du Labex IPGG), Egle Therapeutics (Immuno-oncologie, issue de l’Institut Curie), ou Aqemia (Drug discovery in silico, issue du département de chimie de l’ENS-PSL). On mentionne aussi avec plaisir des projets plus récents, dont le développement est moins avancé, mais déjà prometteur, tels que Energo (Plasma-catlyse pour la méthanation du biogaz, issue de Chimie Paris – PSL), Sublime Energie (Liquéfaction du biogaz, issue de Mines Paris – PSL), Panntherapi (Traitement innovant de l’épilepsie, issue du Collège de France), ou Sharpeye (Imagerie ophtalmique à haute résolution, issue de l’Institut Langevin/ESPCI-PSL). Toutes ces start-up bénéficient de l’environnement exceptionnel de l’écosystème PSL, et s’appuient sur des équipes de recherche internationalement reconnues ; c’est particulièrement évident dans le cas d’Alice & Bob, comme Théau pourra certainement le confirmer…

PSL : Théau Peronnin, vous êtes le cofondateur avec Raphaël Lescanne d’Alice & Bob, l’une des start-up deeptech françaises les plus en vue actuellement. Votre prototype initial a été développé au sein du laboratoire de physique de l’ENS – PSL et vous continuez d’entretenir des liens forts avec les laboratoires de recherche parisiens. Pouvez-vous revenir sur ces liens ?

Théau Peronnin : Il s’agit effectivement de liens très forts, j’irai même plus loin en disant qu’Alice & Bob ne peut se penser sans son environnement scientifique. Il est composé de plusieurs équipes et de nombreux chercheurs de pointe dans le domaine : Zaki Leghtas (chercheur Mines Paris – PSL, ENS – PSL et Inria dont les recherches sont hébergées au sein du laboratoire de physique de l’ENS – PSL), Pierre Rouchon (professeur au centre automatique et systèmes de Mines Paris – PSL), Mazyar Mirrahimi et Philipe Campagne (chercheurs Inria de l’équipe QUANTIC), Benjamin Huard (ENS – Lyon), Emmanuel Flurin (CEA). La plupart sont membres du board scientifique d’Alice & Bob. Nous partageons des étudiants en thèse CIFRE, des projets de recherche communs et surtout une vision globale de l’ordinateur quantique que nous cherchons à simplifier à tout prix.
Cette étroite connexion tient de notre histoire et également de la particularité d’Alice & Bob. Le projet est né de la technologie unique de bits quantiques de chat de Schrödinger, issue des travaux de recherche expérimentaux de Zaki Leghtas. Autour de cette thèse et de ses résultats s’est créé un groupe scientifique encore très actif. Raphaël et moi étions doctorants du groupe. Alice & Bob en est, en quelque sorte, une émanation. Ces dernières années des projets anglosaxons, par exemple dans le domaine du new space1 , ont permis de faire émerger un nouveau cadre technologique d’innovation, dans lequel l’acteur privé est soutenu très largement par les acteurs publics afin de participer à une grande course stratégique.
De façon très concrète, Alice & Bob prend en charge l’exécution de la roadmap du groupe, apporte des capitaux et du matériel. Parallèlement, les laboratoires explorent des pistes de recherche alternatives afin de continuer à simplifier la feuille de route technologique. C’est une politique « win-win ». Nos partenaires académiques peuvent mener des expériences toujours plus complexes dans un environnement très compétitif, et nous pouvons mener la course entrepreneuriale en réduisant la marge de risques.  C’est ainsi qu’en mars dernier, nous avons pu mener une levée de fonds de 27 millions d’euros autour d’une première mondiale : la mise au point d’un nouveau bit quantique supraconducteur, conçu nativement pour corriger l’une des erreurs habituelles dans les calculs quantiques.

1, Désigne les évolutions récentes de l’industrie spatiale, incluant l’émergence d’innovations technologiques et la contribution croissante de start-up et d’autres acteurs privés

 La technologie au cœur d’Alice & Bob

 

PSL : Bruno Rostand, quelles sont les grandes étapes qui accompagnent le passage d’une découverte en laboratoire à la création d’une start-up deeptech ?

Chaque cas est particulier, et nous essayons de combiner nos outils d’accompagnement et de financement, au cas par cas et au plus près des besoins des projets. Si on veut cependant dessiner un parcours type, il partirait d’une déclaration d’invention émanant d’une équipe de recherche, cette invention amène le dépôt d’un brevet ; le service de valorisation qui dépose le brevet peut alors apporter un financement de prématuration, qui permet une 1ère preuve de concept technique et économique. La start-up sera ensuite créée, souvent dans le cadre d’un incubateur, et va ensuite, négocier avec le service de valorisation le transfert du ou des brevets. Il peut arriver que ces différentes étapes fassent intervenir des interlocuteurs différents, ainsi Alice & Bob a bénéficié d’un financement prématuration de PSL, tout en négociant un transfert de propriété intellectuelle avec le CNRS ; de même certaines start-up incubées à PC’Up (ESPCI Paris – PSL) concluent des accords de licence avec PSL, etc.
En parallèle le projet se structure progressivement, avec un noyau d’équipe, un business model préliminaire (ie quels produits ou services seront in fine vendus, et à qui ?), d’autres éléments importants concernent la roadmap de développement, le plan de financement associé, la stratégie PI, etc. Ces éléments seront adaptés à chaque étape du développement de l’entreprise, mais leur consolidation progressive renforce la crédibilité de la start-up, notamment auprès des investisseurs qui contribuent aux levées successives (amorçage, série A, B…), les projets deep tech étant par nature capital intensifs.
PSL Valorisation accompagne les projets sur tous ces aspects de leur développement ; grâce à l’AAP intégration SIA de Bpifrance nous créons un programme d’accélération (PSL Tech Accélération) pour renforcer encore ce dispositif. Par ailleurs une chaine de financement a été mise en place pour les projets issus de PSL, qui inclut le dispositif PSL Tech Seed, adossé au fonds French Tech Seed de Bpifrance, et le PSL Innovation Fund, fonds d’amorçage deep tech dédié au périmètre PSL, aujourd’hui actionnaire d’une vingtaine de start-up de PSL, dont…. Alice & Bob !

Innovation et entreprenariat à PSL

Théau Peronnin : J’ajouterais également qu’il s’agit d’un changement d’état d’esprit, ce n’est pas à négliger. Au même titre que pour être bon scientifique, il faut prendre le temps de se forger une bonne culture générale dans sa discipline, devenir entrepreneur nécessite de prendre le temps de se former à la culture entrepreneuriale. Pour ma part, j’ai commencé à réfléchir à Alice & Bob, au moins.
 

PSL : Justement, Alice& Bob a été créée en février 2020 et vous venez d’effectuer la plus importante levée de fonds dans l’écosystème quantique français. Un succès fulgurant, comment peut-on l’expliquer ?

Théau Peronnin : Je me permets de nuancer, notre levée de fonds est la plus importante à l’heure actuelle, il n’est pas dit qu’elle le reste longtemps.
Pour le reste, Alice & Bob a bénéficié d’un contexte extrêmement favorable. Ces dernières années, il est apparu de plus en plus évident, dans l’écosystème d’innovation, que les créations de valeur importantes (innovation technologique de rupture) doivent être directement sourcées dans les laboratoires de recherche. Il y a quelques années encore, on se tournait davantage vers des itérations industrielles. Trois domaines l’illustrent bien, il s’agit du « new space », de la fusion, et de la course au quantique. Sur ce dernier, on est passé en moins de dix ans (prix Nobel de Serge Haroche et David Wineland) d’une curiosité académique à une course technologique pour construire des machines quantiques. Le marché est non seulement colossal, il représente des centaines de milliards de dollars, mais le champ est ouvert, tout le monde peut tenter sa chance, car jusqu’à présent personne n’a encore réussi à construire une telle machine. Dès lors, le pari d’un investissement de quelques dizaines de millions par des investisseurs n’est pas absurde, bien au contraire.
Du côté d’Alice & Bob, notre trajectoire est similaire à celles de nos compétiteurs anglo-saxons. Notre spécificité est peut-être, justement, de n’avoir pas froid aux yeux et d’oser cette trajectoire motivée par la taille de nos marchés cibles.
Nous avons également bénéficié d’une extrême bienveillance de la part de nos laboratoires, structures d’accueil et des instances de l’Etat. Le CNRS est, par exemple, très rapidement entré au capital d’Alice & Bob, via CNRS Innovation, nous avons comme C12 été incubés au laboratoire de Physique de l’ENS- PSL, les financements proposés par la BPI et Plan Quantique [NDLR : projet national interministériel lancé en janvier 2021] ont également été déterminants.
Cela se traduit également dans nos levées de fonds. La première a été initiée avec le PSL innovation Fund, via Elaia et le fonds Breega pour un montant de 3 millions d’euros, et la dernière en date, que vous évoquez, est portée par Elaia, ainsi que BPI France, via son fonds Digital Venture, et Supernova Invest.

 Alice & Bob lève 27 millions d'euros - Mines Paris – PSL

Master spécialisé « Entrepreneuriat deeptech & innovation » de Mines Paris - PSL

Mines Paris – PSL ouvre cette année un nouveau Mastère Spécialisé « Entrepreneuriat Deeptech et Innovation ». En lien étroit avec les startups PSL, il formera une sélection d’étudiantes et étudiants à la double compétence entrepreneuriat et innovation pour la deeptech.

     « La propriété intellectuelle est un sujet majeur pour les start-up deep tech à intégrer dans leur stratégie de développement ; je suis très heureuse de participer à la création de ce nouveau MS, et d’apporter ainsi mon expérience du transfert de technologies à de futurs entrepreneures et entrepreneurs ». Karla Balaa, Directrice-adjointe de l’innovation et de l’entrepreneuriat, PSL, en charge du module propriété intellectuelle et valorisation du MS Entrepreneuriat Deep Tech.

PSL : Quels sont les liens entre ces start-up et les missions de formation et de recherche de l’Université PSL ?

Bruno Rostand : On a coutume de dire (mais c’est une coutume récente…) que l’innovation est la 3ème mission des universités, avec justement, entre autres missions, la formation et la recherche. C’est en tout cas très important à nos yeux que nos actions puissent renforcer l’impact sociétal et économique des connaissances produites par les universités, notamment via la création de start-up.
Les start-up deep tech ont souvent un lien natif avec la recherche, puisque les innovations de rupture qu’elles développent sont issues de travaux de recherche, aux frontières de la connaissance. L’importance des ressources humaines pour la réussite des projets innovants est une évidence, et la sensibilisation des chercheurs, notamment les plus jeunes, la détection des talents et la formation des futurs porteurs de projets font partie de nos priorités. C’est pourquoi PSL développe de nouveaux programmes de formation à l’entrepreneuriat, dont le Mastère Entrepreneuriat Deep Tech porté par Mines Paris – PSL (voir encadré). Plus largement les pôles ou écosystèmes universitaires sont des lieux de rencontres privilégiés des différents acteurs de l’innovation : chercheuses/chercheurs, entrepreneures/entrepreneurs, investisseuses/investisseurs, entreprises, agences publiques, et à ce titre peuvent jouer un rôle unique au sein de l’écosystème.


Théau Peronnin : L’émergence de nouvelles disciplines, et plus généralement les courses technologiques en cours, nécessitent de former de très bons talents. Pour cela, le bagage scientifique me semble un impératif. Quand on sait faire de la recherche expérimentale, on a l’art de monter quelque chose à partir de rien, on sait aller chercher l’innovation là où elle se cache, c’est-à-dire dans les sciences. Je suis convaincu qu’il y a une synergie dans les sciences dures qui fonctionne bien avec l’entrepreneuriat.

Deuxième édition du Deep Tech Tour, 25 mai à PSL

    Organisé par Bpifrance et l’Etat, le Deeptech Tour est une
    tournée vivante, inspirante et interactive des campus
    universitaires visant à mettre les projecteurs
    sur la Deeptech : des startups hautement technologiques qui
    façonnent le monde de demain. Derrières ces startups, il y a
    avant tout des individus : des chercheuses et chercheurs,
    doctorantes et doctorants, entrepreneuses et entrepreneurs, qui innovent pour
    changer notre société, nos modes de vie, de consommation,
    d’alimentation et ainsi transformer notre quotidien, nos
    industries et notre impact environnemental.

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