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Du rein à la filtration de l’eau. Un exemple de recherche en biomimétisme aux applications déterminantes

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Explorer de nouvelles pistes pour la filtration de l’eau – en s’inspirant entre autres du fonctionnement du rein humain - c’est tout l’enjeu du travail de thèse mené par Sophie Marbach (doctorante ENS-PSL) sous la direction de Lydéric Bocquet (directeur de recherche CNRS à l’ENS-PSL, lauréat ERC).

Un sujet de thèse original et porteur d’un fort enjeu sociétal, déjà auréolé de quelques succès dont l’attribution à l’automne dernier de l’une des bourses françaises L’Oréal-UNESCO pour les Femmes et la science 2017. Focus sur une belle collaboration de recherche sous le signe de l’innovation, du partage et de la découverte.

Sophie Marbach et Lydéric Bocquet dans leur laboratoire de l'Institut Pierre Gilles de Gennes-(IPGG-PSL) à Paris

Interview croisée de Sophie Marbach et Lydéric Bocquet, une doctorante de l’ENS-PSL et son directeur de thèse.

PSL :  Comment est venue l’idée de s’inspirer du fonctionnement du rein pour l’appliquer à la dépollution des eaux usées ?

Lydéric Bocquet : Comme souvent, l’idée est venue d’une discussion avec des collègues. Micro fluidique oblige, je m’intéressais aux différents systèmes de transport de l’eau dans les plus petits canaux possibles et certains pores du corps humain, comme les aquaporines abondamment présentes dans les reins. Le fonctionnement du rein est ainsi logiquement apparu comme un système de filtration naturel qu’il nous faudrait apprendre à imiter pour mieux filtrer nos eaux usées par exemple. Le sujet n’étant, jusqu’à présent, traité que sous l’angle médical, la première mission de Sophie a été de rassembler la documentation nécessaire sur cet organe en rencontrant physiologistes, biologistes et en explorant la littérature médicale afin d’apporter un éclairage sur le fonctionnement de cet organe sous un autre angle. Elle a été très rapide, et ce qui devait lui prendre 1 an, 1 an ½ n’a été finalement que l’affaire de quelques mois.

PSL : En tant que physicienne et physicien que retenez-vous de l’ensemble des interactions disciplinaires avec les biologistes et médecins ?

Sophie Marbach : Ça a été une expérience très enrichissante, mais également assez difficile. Nos disciplines respectives utilisent les mêmes mots pour désigner des phénomènes différents, et des mots différents pour désigner des mêmes choses. Il nous a fallu établir un langage commun pour se comprendre, mais nous y sommes parvenus.
Lydéric Bocquet : Oui, c’était un mouvement nécessaire. Nous nous sommes saisis d’un de leurs sujets, pour l’amener vers la physique et apporter des réponses à des questions en suspens. Il nous faudrait maintenant faire la démarche inverse et leur proposer nos observations et résultats pour tenter d’améliorer les connaissances sur le rein. La dialyse, par exemple, est un moment éprouvant et douloureux pour les patients. C’est une de nos prochaines étapes. D’ailleurs, suite à une publication dans la Physical review X, une rencontre est prévue très prochainement avec une chercheuse spécialiste des organes « sur puce » en Hollande.

PSL : Les présentations des travaux de Sophie, et plus largement ceux du laboratoire, ont reçu un très bon écho (article dans le journal Le Monde, finale de Falling walls, bourse L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la Science 2017) Autant de preuves de l’intérêt partagé des scientifiques et du public pour ces questions. Comment voyez-vous la suite ? Quel temps sera selon vous nécessaire pour l’application concrète de ces résultats scientifiques ?

Nos résultats sont encourageants, ils prouvent que nous pouvons faire beaucoup mieux que le système de filtration classique. Mais nous en sommes encore à l’échelle fondamentale.

Sophie Marbach : Pour le système de filtration inspiré du rein, nous sommes encore au stade des expériences mais nous avons la preuve théorique que notre système pourrait permettre de filtrer mieux tout en consommant moins d’énergie. Nous explorons aujourd’hui d’autres pistes, souvent aussi biomimétiques, par exemple l’idée de la « passoire active ». Je m’explique, aujourd’hui pour le filtrage de l’eau on utilise le principe de la passoire (ou « osmose inverse ») dans lequel les grosses molécules qui constituent les impuretés sont bloquées par la taille des trous (comme les spaghettis dans la passoire) tandis que l’eau qui est une molécule plus petite, peut traverser. Or, cette technique ne permet pas de séparer des molécules de taille semblable. C’est pourquoi nous avons créé le concept d’une passoire avec des « petites portes » qui s’ouvrent et se ferment. Imaginons, par exemple, que nos molécules sont semblables à une vieille dame et Usain Bolt attendant l’un et l’autre pour passer la porte tourniquet d’un grand hôtel. Si la porte tourniquet tourne très vite, seul Usain Bolt pourra passer, et la vieille dame sera bloquée à l’extérieur. Par contre, si la vitesse du tourniquet est très irrégulière et imprévisible, tous les deux seront bloqués. En parvenant ainsi à reproduire les vibrations de membranes contenues dans le corps humain, nous pourrions plus facilement et à moindre coût énergétique séparer par exemple le calcium du sodium.  
Lydéric Bocquet : Nos résultats sont encourageants, ils prouvent que nous pouvons faire beaucoup mieux que le système de filtration classique. Mais nous en sommes encore à l’échelle fondamentale, et nous devons compléter notre panel d’expériences avant de réfléchir concrètement à la valorisation des résultats.

PSL : Sophie, vous êtes l’une des 30 lauréates de la bourse France L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la Science 2017 . Quels conseils donneriez-vous aujourd’hui à de jeunes lycéennes qui hésiteraient à s’engager dans des études scientifiques ?

Les femmes scientifiques doivent s’efforcer d’éviter l’auto-censure.

Sophie Marbach : Mon premier et principal conseil serait de ne pas se fermer de porte. Il faut certes travailler beaucoup pour arriver au plus haut niveau en sciences, mais les sciences sont extraordinaires. Il ne faut pas en avoir peur, bien au contraire, il serait dommage de se priver d’un tel savoir. Même si le nombre de femmes qui poursuivent des études ou des carrières scientifiques a augmenté, il m’arrive encore d’être la seule femme dans des amphis où je suis l’enseignante. De plus, comme dans d’autres domaines, les femmes scientifiques doivent s’efforcer d’éviter l’auto-censure.

PSL : Sophie, vous êtes impliquée dans la vie associative de PSL. Que vous a apporté l’Université PSL en tant qu’étudiante de l’ENS ?

Sophie Marbach : Avant tout des rencontres et un environnement de travail incroyable en tant que chercheuse. Le passeport PSL m’a ouvert des contacts partout dans le monde. Je suis également membre de l’Orchestre et Chœur de PSL grâce auquel j’ai donné des concerts dans des endroits magiques, et je participe régulièrement à des concerts à l’ENS-PSL en tant que soprane soliste.

PSL : Entre la bourse L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science 2017, la finale Falling Walls, la médaille d’argent CNRS, vous avec eu, l’un et l’autre, une année 2017 riche en succès. Quels sont vos projets pour 2018 ?

Sophie Marbach : Avant tout, soutenir ma thèse (avant la fin de l’année universitaire) et continuer l’aventure dans la science. J’aimerais poursuivre mes recherches en Physique, car c’est là où je me sens le plus utile. Je vais poursuivre par une expérience longue de recherche à l’étranger pour développer une collaboration internationale.   
Lydéric Bocquet : Voir gagner Martin Fourcade aux JO d’hiver ! Je travaille sur un projet de recherche en partenariat avec un laboratoire de l’Ecole Polytechnique, et l’Equipe de France masculine du biathlon. Tout l’enjeu est d’améliorer les connaissances sur les mécanismes de glisse et de fartage de ski. Dernièrement, nous avons trouvé un produit qui marche, mais seulement dans certaines conditions. Il est en test par la Fédération française de ski. Affaire à suivre donc.