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Les sciences humaines et sociales entre le scientisme et le politique

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Dominique Schnapper, directrice d'études à l'EHESS et présidente du Prix de Thèse PSL SHS 2019, a rappelé dans sa conférence du 12 juin au Collège de France les tensions propres au projet des sciences humaines et sociales.

Dominique Schnapper

Les sciences humaines sont directement liées aux deux grandes révolutions qui caractérisent la modernité, à savoir la révolution technico-scientifique et la révolution démocratique qui a évacué la dimension religieuse et dynastique de la légitimité politique.
Ce double lien soulève deux séries de tensions propres au projet des sciences humaines et sociales. La première repose sur l’interrogation : les sciences humaines et sociales méritent-elles vraiment le titre glorieux de science ? La seconde porte sur les rapports des chercheurs avec le politique.

L’ambition scientifique

Tous les chercheurs en sciences humaines peuvent convenir que la rigueur des méthodes et des démarches de la recherche – ce qui imposent leur explicitation – est un prérequis de leur scientificité ou en tous cas de leur rationalité. Mais, à partir de là, ils se séparent en deux clans ou deux tribus.

La première est tentée par un scientisme qui se traduit exclusivement par les chiffres. La seconde souligne la spécificité d’une entreprise qui porte sur les relations sociales, elle privilégie le niveau des individus et des relations interpersonnelles.

Or, les méthodes ne sont pas bonnes ou mauvaises en soi, elles doivent être fructueuses, en d’autres termes, heuristiquement fécondes en fonction de l’objet de la recherche. Il me paraît aller de soi que toute enquête mobilise à différents moments de son déroulement des méthodes d’un type ou de l’autre et qu’aucune n’est en tant que telle supérieure à l’autre.

Le rapport au politique

Les sciences humaines et sociales se veulent scientifiques, mais leur objet les conduit nécessairement à objectiver le social en tant que tel, donc le politique. Ils développent nécessairement un projet qui est toujours critique, en tous cas au sens kantien et, aujourd’hui, dans les sociétés démocratiques, critique au sens courant du terme et même souvent radicalement critique.
Les relations avec le pouvoir politique sont complexes. Les chercheurs revendiquent la pleine liberté de leur recherche que leur assure le pouvoir démocratique. Faut-il en conclure que toute relation avec le pouvoir est en tant que telle condamnable ? La vertu de la démocratie est non seulement d’admettre, mais d’institutionnaliser la critique pour permettre un débat rationnel entre tous les citoyens. Les chercheurs qui, par leurs travaux, sont particulièrement susceptibles d’y contribuer de manière rationnelle devraient-ils s’abstenir à partir du moment où leur pleine liberté de savant est garantie ?
Il est vrai que garder à la fois la liberté de l’intellectuel ou du chercheur et la responsabilité du citoyen n’est pas facile, mais qui a dit que vivre et penser était facile ?