Recherche

Prix de thèse PSL SHS 2020 : « Dépasser le grand partage entre sciences de la nature et sciences humaines et sociales »

Le

Le prix de thèse PSL SHS 2020 a récompensé cinq thèses et décerné 22 mentions spéciales pour des travaux en Arts, Esthétique, Littérature ; Droit, Economie, Gestion ; Humanités ; Interfaces Sciences/Humanités et Sciences sociales. A l’occasion de ce temps fort de la célébration des Sciences humaines et sociales au sein de l’université, Dominique Méda, professeure de sociologie à Dauphine - PSL et présidente de la troisième édition du Prix de thèse PSL SHS, nous invite à repenser la division entre sciences naturelles et sciences humaines et sociales afin de mieux répondre aux enjeux écologiques contemporains.

Dominique Méda professeure de sociologie à Dauphine – PSL, directrice du laboratoire IRISSO et présidente du Prix de thèse PSL en sciences, humaines et sociales 2020

Cette année encore, les thèses distinguées par les jurys – qu’il s’agisse des lauréats ou des mentions – enchanteront les lecteurs, qu’ils soient experts ou profanes, par leur ampleur et leur résonance avec les grandes questions de notre temps. Elles nous invitent en effet selon moi à dépasser le double grand partage qu’a inventé l’Occident, celui qui distingue radicalement les sciences et les arts, d’une part, et celui qui sépare les sciences naturelles des sciences humaines et sociales, d’autre part. Produit de la Modernité, cette séparation entre Nature et Culture ne ferait selon certains auteurs que traduire la position particulière de l’humain, autorisé à cadastrer et à mettre en coupe réglée la Nature pour la mettre à son service, jusqu’au point où nous en sommes arrivés aujourd’hui : une situation où il n’est pas certain que nous soyons capables maintenir des conditions de vie authentiquement humaines sur Terre, selon les mots d’Hans Jonas dans Le principe responsabilité. Le procès de l’action humaine a d’ailleurs commencé, comme le suggèrent les qualificatifs utilisés pour caractériser notre époque : Anthropocène, Capitalocène, Plantatiocène…

Nos sciences naturelles sont-elles capables, à elles seules, de rendre perceptible et sensible ce que signifie une augmentation de la température terrestre de 6°C ?

La division actuelle des sciences et des arts est-elle capable de représenter de façon efficace les risques qu’encourt aujourd’hui l’humanité et le caractère plus ou moins désirable des autres états du monde possibles ? Nos sciences naturelles sont-elles capables, à elles seules, de rendre perceptible et sensible ce que signifie une augmentation de la température terrestre de 6°C ? Ou bien se sont-elles « imposées contre l’expérience et son omnipotence, afin de parvenir à la puissance et à l’objectivité technique », en ayant perdu leur pouvoir de communication et d’interprétation, comme le soutient Ulrich Beck ? Nos sciences humaines et sociales, enfermées dans le paradigme de l’exceptionnalité humaine dont l’historien Lynn White voit l’origine dans le texte de la Genèse, ne sont-elles pas à la fois trop arrogantes et trop impérialistes ? Pouvons-nous plus longtemps conserver une division des sciences qui repose sur une cosmologie dont nous savons désormais, grâce à des travaux de plus en plus nombreux, par exemple ceux de Philippe Descola, qu’elle est datée et non universelle. Et s’il peut sembler hors de propos de renoncer au « naturalisme » occidental au profit d’un nouvel animisme (même si des appels de plus en plus nombreux se font entendre pour donner une voix aux plantes et aux animaux, pour leur reconnaître des droits, ou pour faire de l’atteinte à ceux-ci un crime), n’est-il cependant pas grand temps, de dépasser l’actuelle division des sciences ?

Plus que jamais nous avons besoin de la convergence de multiples langages pour décrire la situation écologique terriblement inquiétante dans laquelle se trouve notre monde mais aussi le caractère désirable des possibles.

Si nous croyons au pouvoir des représentations dans la transformation du monde, nous avons besoin d’une nouvelle organisation des sciences et de nouvelles convergences entre arts et sciences pour forger les nouvelles représentations du monde qui nous aideront à conjurer la crise écologique.  Cela suppose de nous atteler sans tarder à la construction d’un Novum Organum, capable de prendre acte et de rendre compte d’une cosmologie dans laquelle les humains sont réencastrés dans la biosphère. Cette nouvelle organisation des sciences mettrait un terme à l’impérialisme de chacune pour organiser leurs articulations, elle reconnaîtrait différents types de langage universel, capables de lier abstraction et sensibilité, comme la musique décrite par l’un des lauréats. Elle obligerait les humains à revisiter et rebâtir les fondements de toutes leurs sciences en prenant en considération la nécessité de préserver et la biosphère et l’ensemble de ses habitants. Au-delà de la grande séparation et du grand partage, elle redonnerait à ceux-ci les règles de coexistence qui nous font aujourd’hui cruellement défaut. Mais ce à quoi nous invitent fortement plusieurs de ces thèses, c’est aussi à dépasser la grande division entre sciences et arts et à réhabiliter l’importance déterminante de l’imagination et des affects dans la connaissance : plus que jamais nous avons besoin de la convergence de multiples langages pour décrire la situation écologique terriblement inquiétante dans laquelle se trouve notre monde mais aussi le caractère désirable des possibles. Je voudrais remercier très vivement l’ensemble des auteurs des thèses primées et mentionnées d’avoir apporté une contribution déterminante à ces réflexions pleinement actuelles.

Dominique Méda, professeure de sociologie à Dauphine – PSL, directrice du laboratoire IRISSO et présidente du Prix de thèse PSL en sciences, humaines et sociales 2020

Cérémonie de remise du prix de thèse PSL SHS 2020

L’ensemble des présentations des lauréates et lauréats du Prix de Thèse PSL SHS 2020 sont à retrouver sur le site PSL-Explore