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Recherche – création : la Clinique Vestimentaire de Jeanne Vicerial, docteure SACRe

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Diplômée de l’École des Arts décoratifs de Paris, docteure PSL – SACRe, Jeanne Vicerial poursuit depuis plus de six ans un travail de recherche création intitulé  « Clinique vestimentaire ». À la croisée du design, de l’artisanat, de la mode, de l’art et des sciences, ses travaux explorent les concepts alternatifs à l’industrie textile contemporaine. À l’occasion de sa première exposition personnelle aux Magasins Généraux, elle revient, dans une interview, sur son travail, son parcours et ses projets futurs.

Vue de l’exposition-résidence de Jeanne Vicerial : « Clinique vestimentaire », 16 octobre - 14 novembre 2021, Magasins généraux, Pantin.  Photo. Mathieu Faluomi − © Magasins généraux

PSL : Pourriez-vous présenter les enjeux de cette première exposition personnelle aux Magasins Généraux ?

Il faut voir cette exposition comme les « portes ouvertes » de mon atelier : toutes mes pièces y sont présentes, parfois en cours de réalisation ; d’autres seront réalisées pendant la durée de l’exposition.

Jeanne Vicerial : Effectivement, l’exposition reprend le titre de ma thèse, mais également le titre de mon diplôme à l’EnsAD et de mon premier écrit théorique. En fait, j’ai toujours conservé ce titre « Clinique vestimentaire » jusqu’à aujourd’hui pour définir l’espace de recherche que constitue mon atelier. Le point de départ de cette première exposition personnelle « Clinique vestimentaire » était d’envisager une deuxième version de ma soutenance de thèse. Elle est donc intrinsèquement liée à mes recherches menées dans le cadre de mon doctorat SACRe.J’ai soutenu ma thèse en 2019, alors que j’étais résidente à la Villa Médicis à Rome. Cependant, je n’ai eu que vingt-quatre heures pour présenter mon travail, un temps trop court pour en montrer la dimension pratique. Il s’agit pourtant d’un aspect central de mon travail. En recherche-création les artistes répondent à des hypothèses par la pratique.

Avec cette exposition, ma volonté était de présenter les enjeux pratiques de ma recherche, dans une version pensée comme une exposition-résidence qui mettrait à profit ces deux années de recul, afin de les pousser sans doute un peu plus loin et d’en présenter le parcours.Ce projet d’exposition date de 2019, mais il a dû être repoussé par deux fois à cause de la crise sanitaire. J’ai rencontré pour la première fois Anna Labouze et Keimis Henni, les commissaires des Magasins Généraux, lors d’un vernissage. Ils connaissaient mon travail et m’ont invitée pour cette exposition autour de l’art, la science et la recherche. « Clinique Vestimentaire » est une exposition qui parle de recherche et de création, mais par les enjeux de la pratique. Il faut voir cette exposition comme les « portes ouvertes » de mon atelier : toutes mes pièces y sont présentes, parfois en cours de réalisation ; d’autres seront réalisées pendant la durée de l’exposition. Il y a des performances, des pièces interactives… Il s’agit vraiment d’une approche du studio par la manipulation.

PSL : Pouvez-vous dire quelques mots de la manière dont vous travaillez en collaboration, entre art, science et design, dans le cadre de vos travaux ?

Jeanne Vicerial : La recherche a permis d’ouvrir des perspectives, alors que je venais du milieu de la mode, qui est un milieu très particulier. La recherche, par le design du moins, m’a permis de me rendre compte que l’on peut développer un projet collaboratif entre ingénieurs, artistes, designers assez facilement. J’ai développé une pratique complètement collaborative, qu’il s’agisse d’art, de recherche ou de design. Je continue de travailler en collaboration avec les professeurs avec qui je travaillais pendant mon doctorat sur un projet COCREAT, pour lequel je travaille avec Philippe Faul, ingénieur avec qui je suis le projet depuis cinq ans. J’avais recensé, dans ma thèse, près d’une centaine de collaborations.

Vue de l’exposition-résidence de Jeanne Vicerial : « Clinique vestimentaire », 16 octobre - 14 novembre 2021, Magasins généraux, Pantin.  Photo. Mathieu Faluomi − © Magasins généraux
Projet COCREAT :

Entre le tricot et le tissage d’un fil, COCREAT vise à développer un dispositif anthropo-mécatronique destiné à la fabrication d’articles textiles. L’objectif de ce projet est d’élaborer de nouveaux vêtements et articles textiles « sur mesure », c’est-à-dire selon des prises de mesures anthropo-dimensionnelles, en commandant électroniquement et/ou manuellement les réglages et le fonctionnement de machines. Porté par Aurélie Mosse, enseignante et chercheure à EnsadLab, et réalisé par le groupe de recherche Soft Matters, ce projet est l’un des neuf lauréats de l’appel à projets prématuration PSL Valorisation / QLife 2020.

-> Les 9 lauréats de l'appel à projets prématuration PSL Valorisation QLife 2020

 

PSL : Pouvez-vous présenter la programmation qui accompagne l’exposition aux Magasins Généraux, notamment en lien avec le programme doctoral SACRe de PSL et l’EnsadLab ?

ÉPINE DORSALE (petite version),
Photo Mathieu Faluomi © Jeanne Vicerial

Jeanne Vicerial : Il y a en effet plusieurs événements qui accompagnent l’exposition : concerts, performances… Il y a aussi une partie qui me tient particulièrement à cœur, à savoir une soirée sur la place des femmes dans le milieu de l’art avec Contemporaines. J’ai également invité le programme CARAT pour un café de la recherche, avec des ingénieurs et des chercheurs qui développent des procédés pour l’industrie. Enfin, un week-end dédié à la recherche, avec une invitation au séminaire SACRe pour une séance hors-les-murs pour parler des perspectives de la recherche par le projet, avec des doctorants et des docteurs, notamment autour des questions d’écriture, de présentation des travaux de recherche-création. J’ai organisé une journée entièrement consacrée à l’univers de la mode, du corps et du vêtement avec des tables rondes et une invitation au groupe de recherche « Soft Matters » de l’EnsadLab, auquel je suis associée depuis ma thèse de doctorat. Non seulement j’ai invité des doctorants et docteurs à parler de leurs travaux, mais j’ai décidé d’ouvrir cet espace de discussion à d’autres artistes avec qui je collabore, notamment des chercheuses à l‘IRCAM, ou encore Hugo Servanin et Wendy Andreu qui ont développé un rapport au corps tout à fait singulier. Cela me tenait à cœur de pouvoir ouvrir ces échanges le plus largement possible, y compris vis-à-vis du public qui viendra visiter l’exposition.

 

 

PSL : Comment envisagez-vous votre parcours entre recherche et création dans votre pratique aujourd’hui et dans vos projets à venir ?

Jeanne Vicerial : Je continue ma pratique de chercheuse, via le projet COCREAT notamment. La recherche demeure un point de départ dans ma façon d’aborder les projets. Cependant, ma pratique de plasticienne s’affirme de plus en plus. J’essaye de développer des prototypes, via la recherche, comme des pièces uniques liées au monde de l’exposition qui me permettent de débloquer des enjeux de ma recherche. Je continue également de développer mon projet de « tricotissage », dont les potentiels sont infinis, à la jonction entre le tricot et le tissage, qui se rapproche de la dentelle avec le travail des points et des aiguilles. Il s’agissait, dans ma recherche, de développer un outil à commande numérique, avec lequel on puisse interagir, pour gagner du temps de travail. Car ce travail, qui copiait les dessins d’anatomie musculaire, nécessitait beaucoup de temps. Aujourd’hui, nous avons développé des prototypes validés de machines qui permettent de faire en 7 min ce que je pourrais faire en 7h à la main. C’est de cette manière que j’envisage de poursuivre ma pratique, entre recherche et création.

 

© Joseph Schiano Di Lombo
© Jeanne Vicerial

Jeanne Vicerial

Après l’obtention d’un diplôme de Master en Design vêtement à l’École des Arts Décoratifs de Paris en 2015, Jeanne Vicerial s’est engagée dans un travail de recherche-création. Elle intègre le programme SACRe de l’Université PSL et soutient en 2019 sa  thèse intitulée « Clinique Vestimentaire », préparée au sein de l’EnsadlLab.. Pensionnaire à l’Académie de France à Rome – Villa Médicis en 2019-2020, elle a développé un travail proche de la sculpture, exposé à Rome, à la Fondation Lambert (Avignon) et entré dans les collections du CNAP.