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KIDIVAX : Améliorer la compréhension de la vaccination et les connaissances scientifiques des adolescents

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En 2019, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) identifiait l’hésitation vaccinale comme l’un des 10 enjeux les plus importants pour la santé publique. Dans de nombreux pays tels que la France, cette hésitation vaccinale s’est cristallisée avec l’épidémie de Covid-19, malgré d’importantes campagnes d’information mises en place par les pouvoirs publics.

Pour lutter contre l’hésitation vaccinale et mieux comprendre ses mécanismes, le projet de recherche interdisciplinaire KIDIVAX propose de tester des outils pédagogiques auprès d’adolescents en France, afin de savoir si ceux-ci modifient réellement les attitudes des adolescents vis-à-vis de la vaccination.

Coralie Chevallier, Hugo Mercier et Élise Huillery, porteuses et porteurs du projet, nous expliquent la genèse et les enjeux de ce projet de recherche pour la santé publique.

Visuel Vaccin pour Kidivax 2022

Vous avez obtenu en 2022 un financement ANR dans le cadre de l’appel à projets « Sciences avec et pour la société » pour KIDIVAX, un projet de recherche pour tester des outils pédagogiques sur la vaccination auprès d’adolescents. En quoi consiste-t-il ?  

Hugo Mercier : Bien qu'ils aient sauvé des centaines de millions de vies, les vaccins font encore l'objet d'une hésitation généralisée, voire d'un rejet pur et simple par une minorité de la population. Malheureusement, la plupart des interventions visant à lutter contre l'hésitation vaccinale chez les adultes ont donné des résultats décevants et seule la discussion avec des tiers de confiance comme des médecins ou des scientifiques a un effet important sur les attitudes. Le problème, c’est qu’il est difficile de passer à l’échelle : comment faire pour que toute la population ait la possibilité de dialoguer avec un tiers de confiance ? Et quel est le meilleur moment pour entamer ce dialogue ? Voilà les deux points de départ de notre projet. 

Coralie Chevallier : KIDIVAX part de l’idée que l’adolescence est le meilleur moment pour commencer à aborder la vaccination. Le programme scolaire de 3e couvre le sujet et les adolescents entrent dans un âge où ils commencent à prendre des décisions pour eux-mêmes. KIDIVAX va nous permettre de tester l’impact de deux interventions pour rapprocher les attitudes des adolescents  - et des adultes qu’ils vont bientôt devenir - de celles des experts.  
La première de ces interventions consiste en un ensemble d’activités pédagogiques construites par des experts de la Fondation La Main à la pâte, partenaire du projet. L’autre consiste en un chatbot répondant aux questions les plus courantes sur la vaccination, modèle qui permet de passer à l’échelle pour recréer, avec un outil numérique, le dialogue dont Hugo Mercier parlait à l’instant. 

Comment fonctionne ce chatbot ?

Hugo Mercier : Pour élaborer ce chatbot, nous avons passé la littérature en revue, et effectué des entretiens avec des adolescents, afin d’identifier les questions qu’ils se posent le plus souvent au sujet de la vaccination. Nous avons ensuite construit des réponses à ces questions, en collaboration avec des enseignants et des experts du sujet. Son objectif est d’informer les élèves, et de corriger d’éventuelles idées fausses qu’ils pourraient avoir sur la vaccination. L’avantage du chatbot par rapport à un texte standard est qu’il permet aux adolescents d’aller directement voir les réponses qui les intéressent, et de creuser celles-ci s’ils le souhaitent.

Quelle méthodologie utilisez-vous pour mettre en place KIDIVAX ?

Élise Huillery : Pour savoir si les activités pédagogiques et le chatbot parviennent à modifier réellement les attitudes des adolescents vis-à-vis de la vaccination, nous devons employer une méthodologie rigoureuse. En effet, il n’est pas simple d’isoler l’effet d’une intervention d’un ensemble d’autres facteurs qui peuvent influencer ces attitudes, comme les attitudes des camarades, le contenu pédagogique utilisé par les enseignants, ou encore les positions de l’entourage familial.  
Pour mesurer de manière très précise l’effet des interventions, nous devons donc comparer des adolescents identiques en tout point, hormis que certains reçoivent une certaine intervention et les autres non. Pour cela, nous constituons un échantillon d’enseignants de SVT volontaires, puis assignons aléatoirement un tiers de ces enseignants à la condition “Chatbot”, un tiers à la condition “la Main à la Pâte”, et un tiers à la condition témoin. Le tirage au sort est le seul moyen d’obtenir trois groupes d’enseignants et d’élèves identiques en tout point. Ainsi, on s’assure que les différences observées in fine sont dues aux interventions et à elles seules.   

Quelles sont les étapes clés de KIDIVAX ? 

Hugo Mercier : Il y a quatre étapes principales. La première, consiste à l’envoi dans les semaines à venir, aux professeurs ayant accepté de prendre part au projet, d’un questionnaire sur la vaccination à distribuer aux élèves. Puis, ils recevront ensuite rapidement, selon leur groupe, soit des activités pédagogiques, soit un lien vers le chatbot, soit rien, s’ils sont dans le groupe contrôle. Dans ce dernier cas, ils ne reçoivent alors les matériaux qu’après l’expérience. S’ensuivent deux nouvelles vagues de questionnaires, la dernière en juin. Ces deux vagues nous permettront d’évaluer les effets à court et à plus long terme, jusqu’à quelques mois, de l’intervention.   

En 2020, Coralie Chevallier & Hugo Mercier vous répondiez à l’appel à projets ANR Flash Covid-19, qui posait la première pierre de KIDIVAX. Pouvez-vous nous en dire plus sur la génèse de KIDIVAX et comment s’est initiée la collaboration interdisciplinaire PSL ? 

Coralie Chevallier : Avec Hugo Mercier, nous avons étudié l’hésitation vaccinale pendant la première vague de l’épidémie, en répondant à l’appel à projets Flash Covid-19 de l’Agence Nationale de la Recherche. Nos travaux ont permis de montrer que l’hésitation observée en réponse aux vaccins contre la Covid-19 n’était pas de nature différente de l’hésitation vaccinale observée pour d’autres types de vaccins.  
Nous avons donc mobilisé toutes les connaissances existantes sur les leviers permettant de lever l’hésitation vaccinale pour créer un chatbot que nous avons déployé auprès d’adultes volontaires.  
Les résultats indiquent que donner la possibilité aux citoyens d’échanger des arguments et contre-arguments avec un chatbot avait un impact positif. Lorsque l’appel Science avec et pour la société de l’ANR est sorti, nous avons vu une opportunité de poursuivre ce travail avec Elena Pasquinelli de la fondation La Main à la pâte et Élise Huillery, avec qui je collabore depuis plusieurs années sur des projets à l’interface entre l’économie et la psychologie de l’éducation.  

 Les défis comportementaux dans la crise du Covid-19 - Entretien avec Coralie Chevallier

KIDIVAX mélange économie et sciences cognitives. En quoi cette pluridisciplinarité nourrit-elle ce projet ? 

Hugo Mercier : Ce projet a en effet bénéficié d’expertises différentes, sans lesquelles il aurait été beaucoup plus pauvre, ou même n’aurait pas pu voir le jour. Élise Huillery par exemple nous apporte sa rigueur dans la construction d’un essai randomisé contrôlé, ses connaissances statistiques, et son expérience dans la réalisation de tels projets de terrain. Elena Pasquinelli apporte toute son expérience dans la confection d’activités pédagogiques, en lien avec des équipes d’enseignants. Le contenu du chatbot a également été vérifié par des experts en médecine.

Élise Huillery : La perspective pluridisciplinaire est essentielle dans ce projet, car chacun apporte son expertise comme l’a décrit Hugo. Les économistes, dont je suis, auraient été incapables de développer les contenus du chatbot et des activités pédagogiques proposées par Elena, Hugo et Coralie qui s’appuient sur des connaissances en biologie, en médecine et en psychologie. En revanche, nos outils statistiques et notre expérience en termes d’expérimentations randomisées se sont beaucoup développés depuis une vingtaine d’années, sous l’impulsion de chercheurs comme Esther Duflo, par exemple. La complémentarité de nos compétences donne à ce projet un dynamisme et une efficacité exceptionnelle.

Pensez-vous qu'il faille motiver davantage l'interdisciplinarité dans les projets de recherche, notamment ceux concernant la santé publique ?

Coralie Chevallier : L’hésitation vaccinale a été identifiée comme l’un des 10 enjeux les plus importants pour la santé globale par l’OMS. Chaque année, la vaccination sauve 2 à 3 millions de vies et 1.5 million de vies supplémentaires seraient sauvées si la couverture vaccinale augmentait. Il s’agit là d’un enjeu de santé publique majeur, notamment pour lutter contre les cancers du col de l’utérus qui sont quasiment toujours causés par une infection à papillomavirus. Les travaux conduits par des psychologues depuis des années ont permis de montrer qu’en prenant en compte les facteurs psychologiques de l’hésitation vaccinale, il est possible d’augmenter la couverture vaccinale et donc réduire la transmission de maladies, dont le cancer du col de l’utérus. Autrement dit, la psychologie peut sauver des vies ! Plus généralement, la santé est l’affaire de toutes les sciences, de la médecine à l’ingénierie et la biologie, en passant par l’économie, la sociologie et la psychologie. 

Quelles sont les possibles futures applications de KIDIVAX ?

Coralie Chevallier : En 2019, l’OMS s’est fixé pour objectif de lutter massivement contre le cancer du col de l’utérus, qui est le 4e cancer le plus fréquent chez les femmes dans le monde, et cause plus de 600 000 morts chaque année. La vaccination contre les papillomavirus est un pilier essentiel de la stratégie de l’OMS. Aujourd’hui, les vaccins existent, mais l’enjeu est d’augmenter la couverture vaccinale en appréhendant toutes les causes de non-vaccination. Comme on l’a vu, la psychologie a un rôle à jouer et notre espoir est que KIDIVAX contribue à identifier des solutions efficaces, qui devront être testées à leur tour.  

 

A propos de....

Hugo Mercier, chargé de recherche en sciences cognitives au CNRS, à l’Institut Jean-Nicod

Photo_Hugo_Mercier_KIDIVAX2022

Ce que j’apprécie le plus dans le métier de chercheur est l’opportunité de répondre à de grandes questions que l’on se pose sur l’humain, et de travailler avec des gens fascinants.

C’est en lisant les ouvrages de Steven Pinker introduisant la psychologie évolutionniste, qui se base à la fois sur la biologie de l’évolution et sur la psychologie cognitive, qu’Hugo Mercier commence à envisager une carrière de chercheur. « J’ai eu une révélation. J’ai eu la chance de pouvoir poursuivre cette passion. »

Après un master puis une thèse en sciences cognitives réalisées à Paris (Institut Jean Nicod, sous la direction de Dan Sperber), Hugo Mercier effectue un contrat post-doctoral à l’Université de Pennsylvanie. Il obtient ensuite un financement Ambizione pour travailler à l’Université de Neuchâtel, avant d’être recruté au CNRS. Il travaille d’abord à l’Institut des Sciences Cognitives à Lyon, puis à l’Institut Jean Nicod où il travaille actuellement. Durant sa carrière, il s’est principalement intéressé au raisonnement et à la communication humaine, en utilisant des techniques de psychologie expérimentale, tout en essayant de rester en contact avec d’autres disciplines pertinentes, de l’histoire aux sciences politiques.  

Le projet de recherche actuel de Hugo Mercier porte sur la science : il travaille à comprendre pourquoi certaines personnes y consacrent leur vie, et pourquoi elle parvient à nous livrer une compréhension aussi impressionnante du monde. 

Son conseil aux futurs chercheuses et chercheurs : « Essayez de maintenir une large curiosité, aussi longtemps que possible. »

 

Coralie Chevallier, chercheuse au Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Computationnelles (LNC2) à l’ENS - PSL et vice-présidente formation de l’Université PSL

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J’aime la diversité de mon métier. Le nom de notre profession - chercheur - ne décrit pas notre quotidien. Nous sommes aussi enseignants, vulgarisateurs, écrivains, entrepreneurs, experts, etc. C’est passionnant !

 

Sa carrière de chercheuse, Coralie Chevallier la doit « à une série de hasards successifs et de révélations intellectuelles ». Lorsqu’elle découvre les travaux de Noam Chomsky en linguistique dans un cours en option, elle est immédiatement conquise « par l’idée que l’on puisse décrire la langue de façon formelle et scientifique ». Les sciences cognitives lui permettent de poursuivre dans cette voie : décrire le monde social et humain avec des outils scientifiques.  

Après une thèse de sciences cognitives à l’Institut des sciences cognitives de Lyon et à UCL, sous la direction d’Ira Noveck et Deirdre Wilson, Coralie Chevallier part effectuer un post-doctorat à Londres au King’s College, puis à l’Université de Pennsylvanie à Philadelphie. Après un dernier post-doctorat à l’ENS-PSL, elle est recrutée par l’INSERM pour rejoindre le Département d’études cognitives de l’École. « Hugo Mercier et moi co-dirigeons l’équipe Evolution et cognition sociale à l’ENS-PSL. Mon travail de recherche vise à identifier les mécanismes évolutionnaires et cognitifs de la cognition sociale humaine », indique-t-elle.  

Coralie Chevallier s’intéresse à la fois à ce qui est universel dans ces mécanismes et aux facteurs qui sont à l’origine de variations entre les cultures, entre les âges, ou encore à travers le temps. « Par exemple, les humains sont extraordinairement doués pour identifier des émotions, pour mémoriser des visages, ou pour coopérer », explique la chercheuse.  Des capacités qui se retrouvent de façon universelle, dans le monde entier et quelque soit l’âge ou le milieu culturel des personnes. « Mais il existe des variations tout aussi remarquables dans ces mêmes domaines », ajoute-t-elle. « Le travail d’un chercheur en cognition sociale est de comprendre ces deux aspects à la fois. »

Actuellement, Coralie Chevallier travaille sur l’impact de la pauvreté sur la psychologie. La chercheuse étudie plus particulièrement les préférences temporelles et la façon dont elles sont affectées par l’incertitude, le stress, ou le manque de ressources. « Ce domaine de recherche a des implications sur la façon dont certaines politiques publiques sont construites et demande une collaboration pluridisciplinaire que je trouve au sein de PSL». Coralie Chevallier collabore depuis plusieurs années avec Élise Huillery sur des projets à l’interface de la psychologie et de l’économie de l’éducation. « C’est une grande chance de pouvoir croiser les approches pour aborder ce type de problématique. »

Son conseil aux futurs chercheuses et chercheurs : « Faites des stages si vous en avez la possibilité ! C’est en faisant que l’on apprend et en testant que l’on découvre ses passions. »

 

Élise Huillery, professeure des universités à Dauphine - PSL et chercheuse affiliée au Laboratoire d'Économie de Dauphine (LEDa)

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Le métier de chercheur apporte une stimulation intellectuelle incomparable, la possibilité d’explorer librement des questions passionnantes dans un cadre rigoureux, tout en étant utile au débat et à la décision publics.

 

Lycéenne, Élise Huillery participe à des chantiers de jeunes en Roumanie et au Cameroun. Une expérience qui éveille en elle « un intérêt profond » pour les questions de pauvreté et d’inégalités sociales. « Même si je n’avais pas spécialement le goût de l’économie, j’ai pensé qu’il me fallait obligatoirement m’y plonger pour comprendre le fondement de ces inégalités de conditions de vie », se rappelle la chercheuse. « L’économie est la science de la création des richesses et de leur distribution, c’est donc incontournable - même si d’autres disciplines comme la sociologie et la psychologie me sont nécessaires pour enrichir ma réflexion et ma compréhension des freins à une répartition plus juste des richesses ! »

Élise Huillery effectue d’abord un master suivi d’une thèse à la Paris School of Economics, puis un post doctorat au laboratoire J-PAL, qui rassemble des économistes dans le but de développer des expérimentations randomisées sur les politiques de lutte contre la pauvreté. Elle est ensuite recrutée comme Assistant Professor au département d’économie de Sciences Po, puis en tant que professeure des universités à Dauphine-PSL. Ses recherches portent essentiellement sur les mécanismes à l’origine de la pauvreté et des inégalités sociales, ainsi que les politiques permettant de les réduire. Elle travaille en particulier sur les politiques favorisant l’éducation et la santé en France et dans de nombreux pays africains comme le Niger, le Cameroun, la République Démocratique du Congo.  

« Mon quotidien est très varié car je mène plusieurs travaux de recherche en parallèle avec des équipes différentes de PSL et d’autres universités », explique Élise Huillery. Ses recherches se font pour l’essentiel en lien avec les administrations et les politiques qui conçoivent et mettent en œuvre les politiques publiques. « PSL m’offre un environnement très stimulant où mes travaux de recherche peuvent se faire dans un dialogue permanent avec d’autres disciplines, d’autres établissements, et le monde extérieur. » 

Son conseil aux futurs chercheuses et chercheurs : « Soyez patients car la recherche est un travail de longue haleine où chaque projet dure plusieurs années. Et surtout ne perdez pas de vue la question qui vous passionne, qui vous donne envie de chercher, et qui donne tout son sens à votre travail. »

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KIDIVAX en quelques mots

  • projet de recherche interdisciplinaire
  • lutte contre l’hésitation vaccinale et mieux comprendre ses mécanismes
  • Financement ANR 2022 dans le cadre de l’appel à projets « Sciences avec et pour la société »

Les chercheuses et chercheurs du projet

  • Coralie Chevallier, vice-présidente formation de l’Université PSL & chercheuse au Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Computationnelles de l’ENS-PSL
  • Hugo Mercier, chercheur à l’Institut Jean Nicod (ENS - PSL / EHESS / CNRS)
  • Élise Huillery, professeure d’économie à Dauphine - PSL