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Masters PSL : la recherche et la formation au service d’un monde durable

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Près de la moitié des laboratoires de l’Université PSL ont une activité dédiée directement aux enjeux du développement durable. Un sujet au cœur des préoccupations des étudiants que de nombreuses formations dans toutes les disciplines et à tous les niveaux, permettent d’appréhender.. Interview de trois enseignantes & enseignants - chercheurs des laboratoires et dans certains de nos masters ainsi que d’un jeune entrepreneur alumnus ESPCI Paris – PSL sur les modalités de cet enseignement interdisciplinaire au plus près de la recherche en train de se faire.

 

Masters DD

Interview de :

  • Hélène Blanchoud, chimiste de l’environnement, maîtresse de conférences et directrice adjointe du laboratoire METIS, EPHE - PSL
  • Laurent Bopp, climatologue et océanographe, DR CNRS et directeur du département de géosciences de l'ENS - PSL
  • Stéphanie Monjon, économiste, Laboratoire d’Economie de Dauphine, et référente Responsabilité Environnementale, Université Paris Dauphine - PSL
  • Edouard Duliège, CTO et co-fondateur de  Kapsera, startup incubée à l’ESPCI Paris - PSL

 

PSL : En tant que climatologue, économiste, physicienne, chimiste ou entrepreneur, pourriez-vous préciser en quelques mots l’importance, pour vous, de l’interdisciplinarité dans l’approche des enjeux du développement durable ?

Les spécialistes de demain seront ceux capables de dialoguer au travers des barrières disciplinaires qui finissent par tomber peu à peu.  

 Laurent Bopp :  La science du changement climatique est une science fondamentalement interdisciplinaire. En effet, l’étude du fonctionnement du système climatique fait appel à un ensemble de disciplines scientifiques : physique, chimie, biologie, géologie, informatique, mathématiques...  Les physiciens étudient la dynamique des fluides atmosphérique et océaniques et les transferts d’énergie dans le système Terre, les chimistes s’intéressent aux cycles des composés atmosphériques qui agissent comme gaz à effet de serre, les biologistes tâchent de comprendre le rôle des écosystèmes dans la régulation du climat et les informaticiens et mathématiciens ont un rôle clé dans la construction d’outils numériques permettant de simuler l’évolution potentielle du climat en réponse aux émissions anthropiques. Mais l’étude du changement climatique nécessite des interactions bien plus larges, en particuliers avec des spécialistes des Sciences Humaines et Sociales. Les émissions de gaz à effet de serre dépendent au premier ordre de l’activité économique et des comportements humains et les impacts du changement climatique se font et se feront sentir sur le fonctionnement des sociétés. Les spécialistes de demain seront ceux capables de dialoguer au travers de ces barrières disciplinaires qui finissent par tomber peu à peu.     

Stéphanie Monjon : Effectivement, tout économiste, climatologue ou chimiste que l’on soit, l’étude du développement durable demande de dépasser les approches en silos encore très (trop !) présentes, y compris dans nos institutions, notamment au niveau doctoral. Le développement durable impose de saisir l’ensemble des conséquences d’une activité, d’une politique ou d’une technologie. Les aspects environnementaux mais aussi sociaux doivent pouvoir être identifiés. Une seule discipline ne peut éclairer qu’une partie des conséquences.

Hélène Blanchoud : Je vous rejoins totalement. En Chimie de l’environnement, à l’heure de l’Anthropocène (ou « l’ère de l’humain »), il n’est plus possible d’étudier les processus chimiques sans considérer l’Homme. Nos principales préoccupations sont le devenir et les effets des contaminants dans les écosystèmes. Il nous faut donc en connaitre les sources actuelles et passées pour estimer leurs voies de diffusion dans l’environnement. Par exemple, la présence de pesticides dans les eaux souterraines s’explique par des usages passés qu’il est nécessaire de quantifier pour valider les modèles de transfert à l’échelle des bassins versants. Pour cela, des agronomes, des modélisateurs et des chimistes travaillent ensemble afin d’estimer la persistance de ces substances dans le bassin. Le PIREN Seine est un parfait exemple d’interdisciplinarité. Ce groupement de recherche financé par les acteurs du territoire et le CNRS vise à fédérer les chercheurs de différentes disciplines (22 équipes principalement parisiennes) autour d’un objet commun : la Seine. L’objectif est d’avoir une vision d’ensemble du bassin et de la société humaine qui l’investit afin de comprendre et modéliser son fonctionnement écologique et biogéochimique. Ces travaux contribuent notamment à construire un socio-écosystème résilient.  

Les innovations de rupture naissent souvent à l’interface entre les disciplines. L’interdisciplinarité est fondamentale pour faire face aux enjeux du développement durable

Édouard Duliège : D’un point de vue entrepreneurial, il me semble essentiel de rappeler que les innovations de rupture naissent souvent à l’interface entre les disciplines. L’interdisciplinarité est donc fondamentale pour faire face aux enjeux du développement durable. Il est crucial que des étudiants, des doctorants et des jeunes chercheurs aient accès à des formations qui les éveillent à cette approche, et leur permettent à terme de proposer des innovations de rupture qui changeront la donne.

Parcours « Energie, Finance, Carbone » du master Economie et Finance

Ce parcours répond aux évolutions en cours dans le secteur énergétique et aux nouvelles exigences des acteurs industriels et institutionnels. Il forme des jeunes économistes capables de donner un caractère opérationnel aux stratégies industrielles et économiques des grands acteurs du monde de l’énergie et de l'environnement devant désormais répondre à la convergence de l’énergie, de la finance et du carbone.
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PSL : Comment une étudiante ou un étudiant en SHS, en économie, par exemple, peut-elle/il compléter ses connaissances en chimie de l’environnement ?

Hélène Blanchoud : Nos sociétés humaines sont interdépendantes de notre environnement. La chimie de l’environnement est un cas particulièrement intéressant pour un économiste qui souhaite œuvrer pour un monde durable. La concentration des populations autour des mégapoles et l’intensification des cultures nous rend vulnérables face aux risques chimiques : pesticides, hydrocarbures, médicaments, parabènes… sont autant de molécules synthétisées, distribuées puis diffusées dans l’air, l’eau, les sols. Leur impact sur la santé humaine et sur les écosystèmes est encore peu connu et les questions de recherche actuelles sont posées selon plusieurs orientations : trouver des alternatives aux usages de produits chimiques, évaluer les risques pour mieux adapter la réglementation et montrer l’intérêt et les moyens mis en œuvre pour la préservation des écosystèmes naturels. Au sein de l’UMR METIS, nous nous employons à comprendre les processus de transfert des micropolluants et leur impact sur les écosystèmes aquatiques. La mise sur le marché de nouvelles molécules toujours plus complexes à analyser nécessite qu’on se penche sur l’évolution du cadre réglementaire européen en étroite collaboration avec les acteurs de l’eau. Nos enseignements au sein de nombreux modules du master Science du Vivant et du master Science la Terre et des Planète, Environnement sont le reflet de cette recherche interdisciplinaire.

Master Sciences de la terre et des planètes, environnement

Ce master répond à la nécessité de former une nouvelle génération de géoscientifiques capables d’appréhender de manière quantitative le fonctionnement et l’évolution du système Terre, un système complexe d’enveloppes solides et fluides en interaction sur des échelles temporelles et spatiales variées. Les enjeux fondamentaux de connaissance concernent notamment les interfaces et échanges de matière et d’énergie entre ces enveloppes. Ils sont couplés à des défis sociétaux de première importance allant des risques naturels (séismes, inondations, cyclones, météorologie de l’espace) au changement climatique, en passant par les ressources (eau, énergie, minéraux) ou les pollutions (sols, eaux, atmosphère).
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PSL : Quelles sont selon vous les qualités principales d’une/un étudiante / étudiant en développement durable ?

Stéphanie Monjon : La curiosité est une qualité importante. Elle permet aux étudiantes et étudiants de saisir l’ensemble des enjeux d’une activité ou d’une politique. A cela doit bien sûr s’ajouter la rigueur. Il existe de très nombreuses ressources qui permettent d’aborder l’ensemble des disciplines. L’Université Virtuelle Environnement et Développement durable est un exemple mais il y en a bien d’autres. Consulter, lire ou écouter ces ressources constituent une première étape. Ensuite, il ne faut pas hésiter à aller rencontrer les enseignant.e.s, expert.e.s et chercheurs.euses des autres disciplines. Pour cela, PSL constitue un lieu intéressant du fait de la diversité des savoirs qui y sont produits. Les conférences et séminaires qui sont organisés dans les différents établissements constituent des lieux d’apprentissage et d’échanges très utiles. C’est vraiment un atout pour les étudiants de PSL.

Édouard Duliège : Je rejoins Stéphanie sur la curiosité et la rigueur, ainsi que sur la grande diversité de ressources disponibles en ligne. Il me semble important de souligner qu’un étudiant curieux doit prendre le temps de lire des ouvrages, de réfléchir, d’absorber de nouvelles connaissances et de prendre du recul dessus. Ce temps est tout à fait complémentaire d’un temps plus interactif en séminaire, en conférence voire en visite de laboratoire. Là encore, Stéphanie souligne avec justesse la chance qu’ont les étudiants de PSL de pouvoir s’adresser à une grande diversité d’enseignants d’excellent niveau à PSL. Je recommande vivement aux étudiants de visiter des laboratoires dans les thématiques qui les intéressent, cela ouvre des horizons insoupçonnés et c’est l’occasion d’échanger avec des gens passionnés et passionnants !

Executive education : Master Développement durable et organisation

Ce master s'adresse à des participants ayant au moins 3 à 5 ans d'expérience professionnelle et désireux de s’engager dans une démarche professionnelle intégrant partiellement ou intégralement les enjeux du développement durable, lesquels sont devenus incontournables dans les stratégies de nombreuses organisations : entreprises, ONG, collectivités territoriales, Etats ou institutions internationales.
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Un master en Développement Durable est également proposé en formation initiale dans le cadre de la mention Affaires Internationales et Développement.

 

PSL : Comment et pourquoi faut-il former, selon vous, les étudiantes et étudiants au plus près de la recherche en train de se faire ?

Laurent Bopp : Sur les enjeux climatiques, la recherche est en constante évolution – les grands principes physiques qui expliquent le lien entre émissions de gaz à effet de serre et changement climatique sont connus depuis le XIXème siècle, mais les avancées des dernières années sont vertigineuses. Ces avancées permettent d’affiner nos projections des impacts du changement climatique en fonction des différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre, mais aussi de réfléchir aux solutions à mettre en place pour atténuer et s’adapter au changement climatique. En raison de cette évolution rapide, il est absolument indispensable de coupler fortement recherche et formation sur cette thématique. Dans le cadre du Master Sciences de la Terre et des Planètes, Environnement (STePE), nous immergeons nos étudiants dans les équipes de recherche – certains cours sont construits sur des projets bibliographiques à partir de publications récentes, nous mettons en place des projets de recherche filés tout au long du Master et tutorés par des chercheurs des établissements PSL et le stage de fin de M1, qui dure 5 mois, s’effectue dans une équipe de recherche à l’étranger.

Stéphanie Monjon : Les rapports d’évaluation produits par le GIEC attestent que la frontière de nos connaissances ne cesse d’être repoussée.
C’est vrai aussi en sciences économiques où de nombreux travaux portent sur les instruments de politiques de réduction d’émission de gaz à effet de serre ou de promotion des énergies renouvelables. Les politiques de sobriété sont une thématique qui devient également de plus en plus importante. Nos étudiantes et étudiants sont de futurs décideurs publics ou privés. Or, du fait des changements climatiques, des enjeux de biodiversité mais aussi de la globalisation, leurs décisions se feront dans un monde de plus en plus complexe. Être en mesure de mobiliser les travaux scientifiques, y compris en Sciences humaines et sociales, aide à mieux comprendre les futurs possibles et constitue une aide précieuse à la décision. Dans le cadre du Master Affaires Internationales et Développement, notamment avec les étudiants du parcours Développement Durable, nous travaillons sur des papiers de recherche récents en économie de l’environnement et de la santé afin de mieux appréhender les liens entre la mondialisation et l’environnement.

Dans l’UE grands défis environnementaux du master SdV, les étudiants montent eux-mêmes leur projet avec l’appui d’un chercheur ou d’un professionnel

Hélène Blanchoud : Le changement climatique est évidemment un sujet d’intérêt majeur. Pourtant, on se limite bien souvent à présenter ses conséquences par l’augmentation des températures ou du niveau des océans. Nos enseignements en s’appuyant sur les travaux de recherche récents s’attachent à mieux comprendre le déterminisme des actions passées pour anticiper les actions futures. Les modèles élaborés pour simuler l’évolution de la contamination future en fonction de scénarios « laisser faire » ou au contraire « actions fortes des politiques publiques » montrent qu’il nous manque encore de nombreux éléments pour représenter la complexité du système. Les étudiants que nous encadrons sont sensibilisés à cela. Nous faisons intervenir des acteurs privés dans nos formations pour que les étudiants aient une idée des contraintes du territoire.  Dans l’UE grands défis environnementaux du master SdV, ce sont les étudiants qui montent eux-mêmes leur projet avec l’appui d’un chercheur ou d’un professionnel en fonction de leur volonté de poursuivre en doctorat ou pas. Cela leur permet de réfléchir à leur projet professionnel, mais aussi d’avoir une vision plus large de ce à quoi ils vont être confrontés. Peut-être devons-nous repenser notre socio-écosystème dès maintenant, mais cela implique d’avoir des jeunes prêts à ce changement de paradigme. La difficulté réside dans les formations initiales trop disciplinaires. La création cette année de la licence « Sciences pour un monde durable et impact positif » par PSL répondra parfaitement aux attentes actuelles.

Édouard Duliège : C’est nécessaire d’abord parce que c’est le plus excitant ! Les tutorats existent depuis longtemps à l’ESPCI Paris - PSL, et me semblent une excellente approche. Quatre élèves travaillent ensemble sur un DM, dont le rendu est discuté avec un chercheur. Cela permet d’une part aux étudiants de prendre le temps de se creuser la tête, de travailler en groupe. La discussion qui suit avec le chercheur permet un apprentissage très interactif et au plus près des recherches en cours. C’est souvent l’occasion de faire évoluer la discussion bien au-delà du sujet du tutorat.

Master  « Sciences du vivant »

Ce master interdisciplinaire prépare les nouvelles générations de scientifiques, d’ingénieurs et de médecins à affronter les questions émergentes dans les domaines de la biologie contemporaine, de l’écologie et des sciences de l’environnement.
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PSL : Au-delà des carrières scientifiques, on constate une augmentation des métiers liés aux enjeux du développement durable. Est-il important selon vous que les masters PSL forment à ces métiers ? Et si oui, pourriez-vous en citer quelques exemples ?

Pour mener à bien une startup telle que Kapsera, il faut des individus capables de travailler à l’interface entre la microfluidique, la science des matériaux et le procédé ; la formulation, les sciences analytiques et la microbiologie ; la formulation et l’agronomie..

Laurent Bopp : Absolument ! Après leur Master, la très grande majorité de nos étudiants décide de poursuivre par un doctorat mené dans un laboratoire de recherche. Un grand nombre d’entre eux s’oriente vers une carrière académique. Cela étant, de plus en plus sont attirés par d’autres métiers, en prise plus directe avec la mise en œuvre de solutions en lien avec les enjeux du développement durable. Notre mission est aussi de former de futurs décideurs et de futurs « praticiens » environnementaux ! Au cours de leur cursus, nos étudiants bénéficient de plusieurs possibilités pour s’orienter dans cette direction – les exemples sont nombreux ces dernières années : modules en Sciences Economiques, en Sciences Sociales, en Sciences Politiques, réalisation de stages dans des ministères, ou sur le terrain avec des ONG.       

Édouard Duliège : Oui tout à fait, et du reste PSL est très bien placée pour former des étudiants aux métiers du développement durable, qui vont nécessiter une approche pluridisciplinaire. Les débouchés ne manquent pas : un secteur urbanisme/BTP qui intègre de nouveaux matériaux et une conception plus durable de la ville, des transports moins polluants, une gestion des ressources naturelles plus durable, relocaliser la production manufacturière, exploiter le potentiel de l’intelligence artificielle, etc. Pour prendre un cas très précis, l’innovation que Kapsera amène au marché est un procédé de formulation pour l’agriculture durable, basé sur une technologie d’encapsulation microfluidique. Pour mener à bien cette aventure, il faut des individus capables de travailler à l’interface entre la microfluidique, la science des matériaux et le procédé ; la formulation, les sciences analytiques et la microbiologie ; la formulation et l’agronomie ; et enfin des gens du business qui comprennent relativement bien les différentes facettes de la techno et son potentiel. 40% de l’effectif est titulaire d’un doctorat. C’est pour moi la parfaite illustration de la nécessité de proposer des formations interdisciplinaires, au niveau master et au-delà.